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3700 km sur mon vélo, du nord des îles Shetland au Lot et Garonne, à travers l'Ecosse, l'Angleterre et la France .

POITOU-CHARENTES ET AQUITAINE/ marais, sentiers boueux, côte des souvenirs, longues distances et anonymat du retour

Publié par Vincent Souyri sur 25 Juin 2013, 20:15pm

Derniers tours de roue, de l'Aiguillon-sur-Mer à Dausse

Derniers tours de roue, de l'Aiguillon-sur-Mer à Dausse

Pêcheurs charentais

Pêcheurs charentais

  Jour 52

 

L'AIGUILLON-SUR-MER- LAGORD

(62,7km ,  4H09, TOTAL: 3355 km)

 

OBJECTIFS : Circuler entre et sur les digues, au milieu des marais et des polders pour rejoindre la Charente-Maritime

 

Matinée débat avec la mère d'Angélique au sujet des énergies et des médecines douces. Les camps sont très clairs : d'un côté le scientifique, de l'autre la non-scientifique. Deux mondes s'opposent, deux univers même. J'avoue être très critique envers la plupart des livres, textes qu'elle me propose. Mélange de jargon scientifique  très vague et peu rigoureux pour tenter de valider les bienfaits de tel ou tel produit. Je vois surtout de l'arnaque pour gens crédules. Des notions, des schémas me rappelant des croyances médiévales. Le sommet étant la photo d'Aura. Un type est censé prendre avec son appareil photo l'Aura qui se dégage de notre corps. Ou encore les globules d'énergies, les courants d’éther etc...Tant de notions empruntées à la science pour donner du sens. Que des choses marchent et ne s'expliquent pas...passe encore mais vouloir les justifier avec de la rigueur scientifique me gène. Ce n'est pas de la science donc le vocabulaire de la science ne devrait pas être utilisé. Bref ce fut très intéressant de confronter nos points de vue mais je respecte et comprends  cette dame qui a subit un choc émotionnel il y  a des années et qui a trouvé un équilibre dans ces médecines parallèles. L'important ici n'est pas la vérité mais d'y croire, tout simplement. J'aurais un discours plus incisif avec mes élèves par contre. Je quitte cette maison en fin de matinée plein d'énergie. Je commence par suivre la digue du Lay, célèbre endroit pour avoir été sérieusement frappé par la tempête Xynthia. Toujours en travaux, la route de la digue en direction des Sablons est fermée après quelques kilomètres. Je dois alors rejoindre St-Michel-en-l'Herm par la route « normale », bien moins excitante. J'arrive vite dans une vaste zone de digues et de marais, des polders par définition gagnés sur la mer. Très tranquille et seul cycliste dans le coin je passe par des sentiers assez peu fréquentés voire totalement recouverts d'herbe. Dans les environs du Pont-du-Brault cela devient même carrément du VTT. Sur un sentier cassant je longe un canal (encore!)  et rencontre parfois des pêcheurs en R18 remontant leurs filets ou avec leurs lignes. Silence et grands champs. Parfois des barrières et des recommandations originales «  ne pas déranger les moutons qui entretiennent la digue ». Pas très excitant mais pas désagréable sous un temps alternant petite pluie fine et gros soleil. Un peu perdu dans ces immensités plates à la densité de population très faible je me retrouve à Charron, petite ville quelconque. Quelques petites routes avec parfois une vue lointaine sur la mer, une grosse route et beaucoup de trafic pour finir. Je passe la soirée à Lagord, petite ville au nord de La Rochelle, avec une mère et ses deux enfants sages dans une jolie maison.  La partie vélo aujourd'hui n'aura été qu'une parenthèse. C'est moins spectaculaire et dépaysant qu'à mes premiers tours de roue, le vélo ne remplit pas les journées mais je m’en sers comme  lien entre deux familles. Le vélo trait d’union.   

Carrelets avant Châtelaillon-Plage

Carrelets avant Châtelaillon-Plage

  Jour 53

 

 LAGORD-LA TREMBLADE

( 101,7 km , 7h05   , TOTAL: 3457   km)

 

OBJECTIFS : Expérimenter les routes défoncées, se perdre, rouler dans des chemins impraticables sous la pluie pour rejoindre le pays des huîtres à La Tremblade

 

Encore un réveil dans une maison vide, hormis une colocataire qui doit bien se demander se que je fais là à cette heure matinale. Je la sens un peu inquiète par la présence de ce barbu. Je quitte Lagord en milieu de matinée sous la pluie mais assez confiant. Je vais en fait peut-être faire ma journée la plus difficile. Je commence par me perdre un peu dans La Rochelle, au milieu des ronds-points et des parcs. Je ne vais pas voir grand-chose de la ville, juste  un petit marché couvert près de la place de Verdun avec de jolies rues et un quartier agréable...Avec ses ports et son passé maritime la ville mériterait bien mieux mais je suis en mode retour.  Vers les Minimes je quitte enfin le trafic pour commencer à longer l'océan. Quelques plages désertes, de la pluie et du vent de face. J'arrive à Châtelaillon , où je longe la grande plage par son esplanade. Quelques passants bien emmitouflés, quelques autres clairsemés dans les restaurants et une ambiance bien loin de celle des dimanches ensoleillés. Passage dans le petit port des Boucholeurs. Sympathique mais je suis loin de l'état d'esprit de mes étapes anglaises ou écossaises. Je ne suis plus en mode découverte. Le temps exécrable aujourd'hui et le fait que je me sente déjà en terrain connu n'aident pas non plus. La suite sera encore moins exaltante. La voie longe d'abord plus ou moins une grosse route au trafic intense. Aucun intérêt, du bruit, des panneaux « Buffalo Grill à 5 min » et une chaussée très peu roulante. Pas le choix pourtant, je dois aller à Rochefort. Petite traversée sans arrêt de la ville, célèbre pour sa corderie royale. Je n'y vois que le petit port de plaisance bien nickel avec de beaux voiliers et des immeubles d'habitation neufs tout autour. Passage au milieu de quelques zones industrielles où l'on répare des bateaux, entre autre. Chaussées un peu défoncées et une image de la ville pas forcément très glamour. J'évite la route principale qui mène à Marennes (trop de trafic ) et suit encore la Vélodysée malgré un détours de 13 km. Là commencent les galères. Beaucoup de sentiers très peu roulants avec cette pluie, des paysages peu intéressants, un mauvais choix qui me fait me perdre sur 10 km et j'arrive à une ancienne voie de chemin de fer transformée en sentier.

Sentier boueux avant Marennes

Sentier boueux avant Marennes

 Très monotone d'abord puis impraticable sur la fin. Le chemin se transforme en piste pour tracteurs avec d'énormes ornières. Sur terrain sec, ce doit déjà être du sport mais là c'est l'enfer. Je peine sur le petit plateau à trouver de l'adhérence puis  finis par descendre de vélo pour marcher. A perte de vue devant et derrière : ce chemin de boue qui sera mon chemin de croix. Et aucune sortie possible. La route principale est à 20 mètres mais séparée par un canal ! Je peste autant que mon vélo s'alourdit. J’apprends les rudiments de la maçonnerie ancestrale : boue et paille= torchis. Le vélo se retrouve dans une gangue si épaisse que les roues se bloquent alors que je force énormément pour le pousser et le faire rouler. Galère ! Arrivé au bout, je vois sur le panneau de la Vélodysée quelques plaintes au stylo de cyclistes mécontents. Il est vrai que ce n'est pas un sentier pour vélo de touring, mais pour tracteurs ! Comparé à la Vendée où tout est nickel pour les vélos, la Charente-Maritime semble bien négligée. La Vélodysée est complète certes mais ils font vraiment passer par des sentiers ou des portions de routes très limites et vraiment cassantes pour le matériel.  Bref j'essaye d'enlever  à la main les énormes galettes de terre qui se sont formées sur les roues d'autant que le soleil ne joue pas en ma faveur en figeant le tout.  Je me demande comment j'arrive encore à passer les vitesses ! J'arrive enfin à Marennes dont je ne vois que les ronds-points de l'extérieur. Passage impressionnant sur le pont de la Seudre. Pas mal de trafic et beaucoup de vent qui me forcent à augmenter ma concentration. De là-haut, belles vues sur la Seudre, sur les entreprises huîtrières, mais j'avoue avoir envie de rentrer. Un peu plus loin, je rejoins à La Tremblade mes hôtes du soir. Je passe d'abord pas mal de temps à nettoyer au jet haute pression mon vélo complètement couvert de boue. Nettoyer les sacoches, le bonhomme...et enfin se reposer. J'espère en avoir fini avec ces sentiers boueux mais demain la pluie sera toujours là. 

Phare de la Coubre

Phare de la Coubre

  Jour 54

 

 LA TREMBLADE-LES GORCES

(69,6km , 4h47   , TOTAL: 3527  km)

 

OBJECTIFS : Naviguer dans mes souvenirs d'enfance entre le phare de la Coubre, La Palmyre et Royan pour  rejoindre un petit village  de Saintonge

 

Journée marquante et riche en émotions, marquée par ce concept étrange qu'on nomme nostalgie. Je  quitte en milieu de matinée la petite famille de La Tremblade assez excité par le programme du jour. Temps maussade, légère bruine parfois, pluie continue ou grand vent sur les côtes, peu m'importe. Dans ce  voyage dans le passé, les éléments seront secondaires et ne m'atteindront pas. Je commence par me perdre, me dirigeant avec le soleil...sous les nuages. Un agriculteur qui apprend à son fils à récurer les auges me remettra dans le droit chemin : direction le phare de la Coubre.  Belle route au milieu de la forêt du même nom, c'est tranquille et bien calme hors saison. Je dis hors-saison mais nous sommes un samedi de fin juin qui a des airs de mois de mars. Pas vraiment une atmosphère estivale.   Je trouve vite une piste qui mène directement au phare. L'arrivée est impressionnante avec cet imposant édifice qui se détache au-dessus des pins  de fort loin. Je connais bien l'endroit depuis plus de 30 ans mais il est maintenant un peu moins vivant qu'avant. Je l'ai connu gratuit, avec son ancien gardien et sans véritable musée. Aujourd'hui il est un peu plus aménagé mais encore loin du parc d'attraction pour touristes. Je passe un bon moment à son pied et commence à enclencher la machine à souvenirs.  Le sentier en bordure de plage est très agréable, alternant montée et descentes, offrant des passages vers des plages parfois surveillées entièrement désertes ce samedi.  La Côte Sauvage porte bien son nom et je me régale dans ce silence maritime.

A marée basse la vue sur Bonne-Anse est remarquable. C'est une sorte d'immense plaine entre le marécage et l'océan où l'on peut se promener à l'abri d'un mince cordon dunaire. Très très beau et sauvage.

Le sentier se poursuit vers La Palmyre où j'évite le port et le club med pour foncer vers le zoo. Toute mon enfance respire en ces lieux et rien ou presque n'a changé en façade. Toujours ce même rocher  et sa cascade qui alimente le bassin des flamants roses, toujours les mêmes tourniquets à l'entrée, le logo désuet avec le singe enlaçant la girafe, le parc aux girafes et les gens recevant des coups de langues à chaque pain distribué. Je remarque aussi que le prix d'entrée (15 euros) n'a pas trop augmenté depuis des années, une surprise. Je me promets d'y revenir bientôt.

Le sentier se poursuit au calme en bordure de route et rejoins la Grande Côte, promontoire rocheux bordés de nombreux restaurants avec bancs face à la mer et longues-vues pour observer les nudistes de la Côte Sauvage. Plaisir énorme de rouler dans le vent sur cette corniche merveilleuse avec ses  vues sur le phare de Cordouan et sur Soulac-sur-Mer en face. Je vais longer l'océan jusqu'à Royan, passant par St Palais, Pontaillac et nombre d'autres petites plages.

L'émotion est de plus en plus forte à l'approche de la plage du Chay, où je passais mon enfance en compagnie de mes grands-mères. Je suis fébrile comme si j'avais rendez-vous avec elles. Que vais-je ressentir ?

Sous la pluie, seul au milieu de la petite plage, je suis submergé par l'émotion. Je respire des particules d'enfance, sur les rochers je vois des  images de gens disparus et j'en reste assommé. 
Ces souvenirs lointains s'effacent pourtant, je ne sais plus trop bien où nous nous asseyions. Ces pertes de mémoires renforcent  la distance entre mon présent et mon enfance. C'est loin, tout simplement,  et cela ne peut que renforcer la nostalgie. Je reste persuadé que la perte des être chers nous atteint aussi par la perte d'une partie des témoins de notre vie, en particulier de notre jeunesse. Je vois sur ces rochers des gens, mes proches les voient aussi mais dans quelques années le dernier témoin de cette époque se sentira bien seul avant que ces souvenirs ne partent avec lui. Les personnes meurent deux fois. La mort biologique et la mort dans le monde des souvenirs. Quand  il n'y a plus de témoins vivants de notre existence. Je passe donc la journée en compagnie de mes grands-mères.

Royan, j'y ai passé mon enfance...

Royan, j'y ai passé mon enfance...

 

La route qui quitte le Chay pour Royan est en corniche. Je la parcoure au rythme de la marche de vieilles personnes, m'arrêtant pur observer les carrelets, insensible à la pluie. Je prends mon temps, celui qui est comme celui qui était. J'arrive alors sur le port de Royan, remontant en poussant mon vélo  les petites boutiques d'articles de pêche, de bibelots et les quelques restaurants. Rien n'a trop changé. Sur le front de mer, le long de la promenade abritée au pied de ces vieux immeubles d'habitation typiques de la ville je retrouve avec plaisir des signes du passé.  Comme ces objets qu'on laisse, qu'on cache et qu'on retrouve des années après. Le Twinburger vend toujours ces burgers, le Mareyeur ses poissons, comme le Pavé Bleu ou le restaurant de la Plage. C'était mon hôtel. Je reste planté devant la vitrine devant la table où nous nous asseyions. Les clients doivent bien se demander ce que veut ce type en cuissard plein de boue. Je reconnais le serveur qui n'a pas trop vieilli, la femme de chambre qui est montée en grade, les plats du menu...Incroyable de voir encore ces témoins comme si rien n'avait changé en 20 ans.

Pourvu que ça dure encore quelques années. Ces gens, ses objets maintiennent en vie mes souvenirs et alimentent  la mémoire des personnes disparues. Ce n'est pas rien.Le front de mer n'a pas trop changé, toujours autant de magasins populaires, un peu de mauvais goût parfois. Le pèlerinage se poursuit encore un peu, je pars puis retourne pour observer une dernière fois ma chambre au-dessus de l'hôtel. Je n'ai plus les clés en poche. Voilà un cadeau qu'un monde magique pourrait m'offrir. Les clés de cette chambre pour revivre une nuit ces moments de jeunesse.

Je quitte Royan très marqué par cette expérience spatio-temporelle et me rince les idées sous la pluie en suivant la route côtière vers St-Georges-de-Didonne. Plage déserte et quelques kitesurfeurs ou véliplanchistes. Atmosphère vraiment humide, je n'aperçois bientôt plus ni la côte d'en face. Alternance de côtes et de descentes pour rejoindre Meschers ( je ne m'y arrête pas) puis Talmont-sur-Gironde. Célèbre petit village sur une presqu’île. Très très touristique avec son parking payant, ses cars de vieux qui cherchent les toilettes et toutes ces boutiques ...J’en vois un qui sort out excité. « Oh des chevaux en bois, je vais les prendre en photos ! » ou, à sa femme, « Il y a une boutique de souvenirs de poterie, cela a l’air bien, j’irai après ». Ce petit vieux exalté devant des choses qui aujourd’hui me laissent indifférentes me fait réfléchir. Dans quelques années, quitter sa chambre, son petit jardin pour suivre un parcours très touristique sera peut-être un des mes bonheurs. Quand les choses simples et banales de la vie d’un « jeune » deviennent des plaisirs en vieillissant. Je peux comprendre ce monsieur.

Le village est quand même joli et j'y passe un petit moment à déjeuner et à déambuler. Un endroit qui peut-être m'aurait déplu dans d'autres conditions mais aujourd'hui je suis zen , dans ma région, alors tout me plaît.

De là je finis ma journée mouillé mais heureux en trouvant ma route au milieu des champs de blés vers Epargnes  puis Les Gorces où je me rends chez un petit vendeur de brioche locale. Juste un papi et  3 choix de brioches, dans son atelier. Parfait pour moi.

J'arrive chez mon hôte du soir. Une dame retraitée, ancienne guide en Afrique du Sud et en Namibie, vivant seule dans sa grande maison et alternant entre BnB et couchsurfing. Champagne, cheminée, dîner... et en plus je dors dans une des chambres destinées aux clients. Accueil royal et dame très intéressante, grande lectrice et voyageuse.

Journée marquante qui m'amène à une nouvelle résolution. Profiter et profiter encore des gens qu'on aime, se créer des souvenirs, partager, réfléchir à la brièveté de la vie et agir en conséquence....Toutes ces actes que je compte mettre en valeur  encore plus dès mon retour.

Brioche locale  et champagne pour ma dernière soirée en Couchsurfing

Brioche locale et champagne pour ma dernière soirée en Couchsurfing

Jour 55

 

 LES GORCES-BERGERAC

(160 km ,  7h44  , TOTAL: 3687 km)

 

OBJECTIFS : Foncer sur les routes de la Charente-Maritime, passer en Gironde et rejoindre Bergerac au terme d'un petit défi physique.

 

Au programme du jour, retrouver les routes « normales » après ces journées à suivre la Vélodysée pour rejoindre les environs de Coutras, enfin c'était le but initial. On verra que je me suis adapté à ce que réclamaient mes jambes et que tout en fut chamboulé. Beau macadam, pas trop de monde, je fonce sans m'arrêter, à bon rythme, jusqu'à mon premier arrêt, Mirambeau. A part le château transformé en hôtel de luxe je n'y  vois guère que les quelques commerçants du  dimanche matin : huitres, parfois  un étal de fromage. Rien d'excitant. Je suis vraiment aujourd'hui en mode retour mais de toute façon, à part quelques églises, rien n'est vraiment touristique dans le coin. Après Montendre, je suis quelques kilomètres un groupe de cyclistes anglais. Plutôt lourds et avec de très gros mollets, je tiens à peu près leur cadence sur le plat. Arrêt au bord d'un lac en bord de route où je me laisse tenter par un petit snack. Radio locale dans les enceintes et émission Années 80. Entre les Pet Shop Boys et Corinne Charby je me régale des paroles insipides de cette période et de ces chanteuses sans voix. Dans l'assiette c'est du bien gras : saucisses frites graisseuses et gaufre au sirop d'érable. De retour sur le vélo je n'ai qu'une envie, brûler ces lipides. Arrivé vers Coutras, je commence à penser à  rejoindre Bergerac dès ce soir. Il est assez tôt, je me sens en forme et ce serait un défi physique de taille ou une manière de me tester. Passer les 150 km, l'inconnu pour moi et une bonne fin pour mon aventure. Histoire de souffrir un peu pour mieux apprécier l'arrivée. Le genre de défi que j'aime bien, un peu bourrin. C'est maintenant ou jamais. J'annonce au gars qui devait me loger à St Seurin-sur-l'Isle que je poursuis ma route, appelle ma mère pour savoir quelle route prendre ( toujours pas de cartes et là je ne peux me perdre) et c'est parti. Très excité, en jambes, je fonce sur les routes de Dordogne. Deux de mes meilleurs amis, Thierry et Nick, Luisa,  sont là ce soir et c'est une occasion rare à ne pas louper. Paysages très beaux : vignes, château en ruine, maisons en pierre...et je me sens voler vers ma région. Comme le hobbit rejoint la Comté. Je comprends mieux maintenant, après avoir traversé les Cotswolds, l'attrait des anglais pour cette région. Les belles maisons ressemblent à celles de chez eux avec le soleil et la gastronomie en plus, les français en moins. J'arrive vers 19h devant la porte de Thierry et vais y attendre longtemps, parfois sous la pluie. Faire des surprises est risqué, ils sont à un concert ! Ma plus grosse journée et je dois attendre dehors, en bonnet et goretex, fin juin ! Un bide quoi.  Niveau physique, pas de problème, j'ai encore de la marge. Prêt pour une étape du tour ? Pourquoi-pas ? 3 heures après, ils arrivent un peu alcoolisés et c’est parti pour un festival de théâtre de rue : imitations en anglais, Capitaine Igloo, délires...cela fusent et je me sens un peu perdu dans ce déluge de mots. Amis pas très curieux par mon aventure, j’écoute et n’ai pas grand-chose à commenter dans leurs délires. Business, facebook, un vocabulaire, des thèmes qui me disent «  c’est bien fini, retour à la maison ! ». Bonne soirée à délirer sur des projets d’entreprise...mais moi je suis encore dans mon trip. Bizarre comme on n’est jamais roi parmi les siens. Passer de l’attraction, de l’objet de curiosité au milieu de toutes ces familles et rentrer anonyme parmi le siens qui me retrouvent comme si je rentrais du boulot. S’habituer à un nouvel anonymat.

 

En attendant Thierry, Nick et Luisa à Bergerac

En attendant Thierry, Nick et Luisa à Bergerac

 Jour 56

 

 BERGERAC-DAUSSE

(75.4 km, 3h51  , TOTAL:3762  km)

 

OBJECTIFS : Terminer le voyage en rentrant tranquillement en Lot  et Garonne

 

Derniers tours de roues. Je démarre la journée très tard, passant la matinée à discuter avec Thierry. Faire le bilan de nos quelques mois de congés (sans solde !), de nos projets, de nos ambitions. Dans le canapé, à feuilleter quelques livres de voyages, à gratter la vieille guitare désaccordée, je repousse, par fatigue peut-être ou par crainte le départ de ma dernière étape. Vers 16 h, je quitte Bergerac pour Dausse. Pas si loin que ça et assez simple en voiture mais à vélo ce n’est pas si évident. Du trafic sur la grosse route les premiers kilomètres puis une alternance de côtes et de descentes tout le long. J’apprécie quand même ces derniers moments de liberté, voyant défiler à petite vitesse  tous ces endroits connus de derrière une vitre. Le ressenti est forcément différent : on ressent physiquement le relief, les éléments, les odeurs et je redécouvre un peu ma région finalement. Arrêt chez mon dernier boulanger à Villeréal, arrêt sur le pont de Port-de-Penne. Je   finis les derniers kilomètres dans l’anonymat total. Je rentre de 3700 km et me voilà tout seul devant mon village. Je le traverse sans aucun public, comme je l’ai traversé déjà des centaines de fois, mais là je me sens différent. Mais qui peut savoir d’où je viens ? Les souvenirs n’apparaissent pas sur mon front. C’est une possession qui ne s’affiche pas. Dernière montée et c’est le jardin. Poser le vélo contre le poteau.  Pas de grande émotion ni de fierté. Je pensais à cette arrivée, la fantasmant. J’ai peur de dire que ce n’était pas assez dur, pas assez galère pour arriver et ressentir un soulagement. Je sais pourtant que ces instants seront uniques dans ma vie. Même si je refais un jour un voyage de ce type il ne sera plus jamais le premier. Je ressens le poids de cette fin. Je dirais qu’il y a eu deux autres types de fin comme celle-là dans ma vie. Lorsque j’ai fermé la porte de mon appartement d’étudiant à Birmingham et quand j’ai quitté la caserne après mon armée. Des moments où on se dit : « une page se tourne, définitivement, sans retour possible. » Quand on sait qu’on quitte une vie, une aventure qu’on estime exceptionnelle à son échelle. Pour les fans, penser au dernier épisode de Friends. Quand la  caméra s’attarde sur la porte de l’appartement, close.  

Le vélo posé sur le poteau, compteur bloqué. C’est fini.

Arrivée dans le jardin

Arrivée dans le jardin

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C
Back home !!<br /> Bon retour chez toi...coïncidence, j'ai traversé Dausse Samedi 28/06...je me suis demandée si tu étais rentré ! j'espère qu'on se croisera dans l'été, pour avoir la voix, après la lecture et les photos...Merci pour ce beau voyage commenté et une spéciale dédicace pour tes mollets !
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